A glorious ark for our times, and made of metal scraps

The Ottawa Citizen, November 5, 2013

Art blog, Big Beat – Peter Simpson

 

To hear the name Casablanca is to think of Hollywood romance, of Rick and Ilsa’s fated love, he left on the tarmac and she flying away into the night.
As Mustapha Chadid grew up in the ancient Moroccan city, he too had romantic dreams of flight, not for love but for adventure and discovery. Now, in a Gatineau gallery, Chadid has fulfilled his dream in art on a spectacular scale.
He’s built a Noah’s Ark for modern times, when the deluge is climate change and environmental degradation. Chadid’s ark is 30 feet long and weighs one-and-a-half tonnes — it barely fits into the Art-image space. It arrived at the gallery in 20 parts, collectively made of hundreds or thousands of pieces as small as a bolt and large as a boiler tank. It is a glorious aggregation of found objects.
Chadid has a metal-fabrication shop in Gatineau, just as his father did in Casablanca. His father made only practical things — “culture was frivolous” — such as the fences and stairs that Chadid also makes, to pay the bills and care for his family. Yet Chadid’s heart has always been in art, before and after he moved his family to Gatineau in 2001, and his grand expression is now at Art-image in the Maison de la Culture.
“It’s a boyhood dream to build an ark,” he says, through a translator, as his English is tentative and je parle seulement un peu français. His ark is a makeshift thing, even ramshackle at first glance, until you notice the details. Chadid’s ark is no cuttingedge machine. With its abundance of flywheels and pistons it looks less space-age transport than Victorian contraption — almost steampunk, as the hip say these days. He’s left the surfaces of the various pieces unfinished, so rust abounds, giving it an experienced look, as if it has already traveled great distances.
The interior is filled with blinking GPS-like displays on which the heavenly bodies of space move about. Dozens of test tubes fill racks on the rear wall of the cockpit, each representing the DNA of a species — the modern ark carries not animals, but their genetic maps.
Outside the cockpit, on the ark’s exterior surface, is a component more open to interpretation. A small turntable rotates, covered in sand that is constantly raked by fixed tines. It represents the desert of Chadid’s youth, though it also prompts thoughts of a garden tended, and of time passing, as in a sand dial.
The desert sands are central to Chadid’s work. One of two smaller pieces — the ark is so big, there’s not room for more — speaks to his Moroccan heritage. It’s a ceiling lamp, a fixture that binds the practical/engineering and artistic sides of Chadid. He’s pulled together various scraps of metal to represent a desert village seen from a distance at night.
The lamp is an evocative work, and a solid example of Chadid’s loose, representational sculptures that are by now seen frequently in galleries in the capital region. I stand beneath the lamp and imagine myself in the ark’s galley, on a grand adventure of conservation, and eating rations in the soft light of home.
Chadid’s exhibition continues to Dec. 22, admission is free. See more of his work at www.tendancemetal.com.

Mustapha Chadid with his « ark » at the Art-Image Gallery in Gatineau. (Photo by Chris Mikula, Ottawa Citizen)

Deux expositions, deux voyages époustouflants

Valérie Lessard
Le Droit du 26 octobre 2013
Des pièces de joaillerie minutieusement perlées de Gabby Ewen, présentées à l’Espace Pierre-Debain, à la fascinante arche de Noé métallique de Mustapha Chadid, exposée à Art-image : les expositions Éléments éphémères et Voyage sans retour amènent le visiteur de l’infiniment délicat à l’impressionnant brut. Dans les deux cas, le souci du détail s’avère époustouflant.
    Inutile de dire que le choc visuel relève d’un tout autre ordre de grandeur lorsqu’on se pointe à la galerie Art-image de la Maison de la culture de Gatineau.
    D’emblée, l’installation de Mustapha Chadid saisit par sa taille, pour le moins imposante : à lui seul, son étrange vaisseau spatial à l’allure aussi antique (à cause de la rouille) que futuriste occupe presque tout l’espace.
Mais si c’est ce côté grandiose qui capte l’oeil a priori, ce sont ensuite les nombreux détails qui forment ladite sculpture qui titillent l’intérêt du regard : le clavier du tableau de bord, composé de cercles de métal disposés à l’avenant ; l’ingénieux dispositif qui, sur un plateau rotatif, permet d’un côté à un peigne de tracer du sable et, de l’autre, à une lame d’aplanir le tout ; les complexes engrenages incrustés dans le vaisseau, etc.
     « Je me suis amusé comme un fou ! En fait, j’ai fait tout le contraire de ce que mon père me disait que la sculpture devait être, quand j’étais plus jeune ! » clame l’homme, qui a sans l’ombre d’un doute écouté l’enfant en lui pour construire le tout.
Ce faisant, M. Chadid a voulu (faire) réfléchir sur l’avenir de l’humanité et de la Terre. Il ne faut dès lors pas s’étonner de voir rassemblées, à l’intérieur du cockpit, moult éprouvettes contenant autant de prélèvements d’espèces végétales ou autres menacées.
L’environnement sonore dudit cockpit (qui comprend même un lit pliant !), jumelé aux deux écrans où sont projetées en boucle des images de radars, rappellera peut-être d’ailleurs à certains l’univers des jeux Myst et Riven.
     On ne peut que regretter que les trois autres éléments de l’exposition (fauteuil, secrétaire et luminaire) ne soient pas mieux mis en évidence, perdus qu’ils semblent être dans le fond de la salle. Il aurait pu être des plus intéressants de les placer à l’avant, les transformant ainsi en sorte de bureau de savant fou où seraient exposés les plans et esquisses de Mustapha Chadid.

À la recherche de l’équation pour apprivoiser la poésie

Auteur: José Claer
Revue Liaison N.147 page 31 Année 2010

Mustapha Chadid sculpte son expo à la galerie Montcalm

Auteur : Patrick Voyer
Arts et Culture
22 octobre 2009
INFO07.com

Soldat intemporel

Mustapha Chadid revient en force avec une exposition qui articule les mille et une questions se rapportant aux mystères de l’univers et du temps.
Auteure: Katy Le Van 
VOIR
29 octobre 2009

Grincements et grains de sable

Karine Gélinas
Journal: VOIR.ca du 17 mai 2007
https://voir.ca/popculture-mauricie/2007/05/17/grincements-et-grains-de-sable/

 

Un catalogue accompagnait l’exposition. Octobre 2005
COMME UN TEMPS QUI N’EXISTE PAS
Un texte de José Claer
     Initialement, au tout début de ce monde rond, il y avait l’espace et le temps intrinsèquement mêlés, lieu et seconde ne faisant qu’un, monstre Ouroboros, avant que l’homme l’horizontalise, le fractionne ; le linéaire étant une notion plus confortable pour lui que le circulaire.  Image qui titille l’imaginaire de Mustapha Chadid, précepte qu’il ose bousculer avec des phrases comme « le temps est illusion », « rien n’est jamais parfaitement immobile » et qu’il illustre et prouve par ses sculptures en mouvement.  Emboîtements imparfaits de poulies, de courroies, de moteurs, de métal, matériaux de prédilection, qui sont autant d’automates dégingandés capables de chorégraphies amusantes, de parcours aléatoires.  Rythme boiteux mais ô combien fascinant, détourné de la précision et qui, à chaque répétition, bouge d’un iota, dessinant une nouvelle vérité face à l’infini, l’éphémère.
      Originaire du Maroc, Chadid y a complété des études en sciences physiques puis est devenu un artisan en ferronnerie d’art et en construction de métal avant d’immigrer au Canada en 2001 et de toucher au dessin animé et au cinéma lors de ses études à l’Université du Québec en Outaouais.  Une constance se détache de sa vie et de son art : le mouvement, les traces de passage du temps.  Normal alors que sa passion aujourd’hui prenne la forme de la sculpture cinétique, ramification qui explore l’esthétisme du mouvement répétitif et qui remonte au russe Naum Gabo et au dadaïste français Marcel Duchamp dans les années 20.  Ses oeuvres, géniaux bric-à-brac, possèdent des parties mobiles qui s’animent par des moteurs, composantes mécaniques fragiles, et qui les propulsent au ralenti sur un trajet de sable.  Du sable ? Relisez le début du second paragraphe, il y est fait mention d’un pays d’Afrique du nord, d’une culture maghrébine inhérente avec ses mythes et ses légendes venues du désert, les mots étant remplacés par un joyeux cliquetis métallique qui communique avec poésie et humour avec les visiteurs.  Regardeurs surpris par cette révolution du monde statique digne d’un Jean Tinguely, par cette évolution de la Reine scarabée, la bien nommée, un bric et de broc de fer, maquette du char de Ben Hur tirée en guise de cheval par les mandibules d’un insecte sacré poussant dans son double cercle de temps apprivoisé une boule de sable.  Mythe de Sisyphe réinventé.  Elle roule sur le sol granuleux de la galerie, y laissant les mille empreintes d’une trajectoire préétablie qui déraille perceptiblement à chaque circonvolution.  Tout aussi machine infernale mais plus ludique, plus proche de l’enfance et de ses jeux-rituels, il y a Fontaine, où un cône de fer, inlassablement, puise non de l’eau comme on s’attendrait à le voir faire, gestuelle salvatrice, mais du sable comme si on lui commandait d’échafauder des châteaux sur une plage, gestuelle maladroite qui égrène le temps ; un cône n’est-il pas une moitié de sablier ?
     Les sculptures aux roues dentelées, aux poulies sonores de facture cinétique de Chadid rassemblées pour cette exposition sont symboliques d’un temps de passage gravé dans le sable que le premier vent efface, ne laissant visible qu’un espace nu, un no man’s land.
José Claer
Journal VOIR du 10 novembre 2005
QUÊTES TEMPORELLE

Un texte de Line Dezainde 
Les sculptures de Mustapha Chadid nous enveloppent d’une poésie mécanique aux effluves d’Afrique du Nord et nous projettent dans un monde à la recherche du temps.
      Le titre Comme un temps qui n’existe pas donne le ton à l’approche philosophique et poétique entourant la création des œuvres composant l’exposition de l’artiste Mustapha Chadid à la Galerie Karsh-Masson. De nombreuses sculptures cinétiques nous transportent dans un monde fabuleux aux effluves d’Afrique du Nord, à la poursuite du temps qui fuit, du temps perdu ou de sa futilité.
Né au Maroc d’un père forgeron et d’une mère couturière, Chadid a baigné dans un environnement où régnaient la créativité et la manipulation des matériaux. Jeune, il adorait se balader dans les quartiers de Casablanca, fasciné par le génie créatif des habitants recyclant les matériaux disponibles afin de créer des objets utilitaires ou des jouets. « Mon père était forgeron et il réparait les grandes roues métalliques auxquelles étaient attelés des chevaux qui les faisaient tourner. » Ces roues se raccordaient à un ingénieux système d’engrenages permettant l’ascension de l’eau d’un puits. Le métal se faisant rare, « c’était le système D » et le recyclage de morceaux trouvés de-ci de-là.
      Un enseignant de la 12e année a assurément influencé la pensée de Chadid quant au concept de la relativité du temps. « Le temps peut être mesuré avec des instruments sophistiqués, mais on ne peut pas expliquer l’effet du temps. Mon professeur nous expliquait qu’une heure, ce n’est pas toujours la même chose. Une heure à avoir du plaisir entre amis, ce n’est pas aussi long qu’une heure à accomplir un travail pénible. » Les œuvres tirent ainsi leur origine de cette fascination de l’artiste pour l’incommensurabilité du temps, d’études dans le domaine de la physique, des histoires de Jules Verne, des machines à remonter le temps et même des films de Star Wars! Depuis son immigration au pays, Chadid est à même de comparer la conception des Nord-Américains à celle des habitants de son Maroc natal: « Le temps prend une autre dimension lorsqu’on dispose de temps libre, de ressources et de la liberté de s’exprimer. » Il renvoie également aux cultures qui ne définissent pas le temps de façons semblables: « La course effrénée pour gagner du temps n’a aucune résonance pour le montagnard de l’Afrique. C’est une notion qui lui est totalement étrangère. »
       Fusionnant art et sciences, les sculptures, que l’artiste nomme aussi « instruments », investiguent chacune à leur manière une portion du temps. Les structures métalliques sont composées de feuilles d’acier découpées à la torche, de moteurs et de délicats engrenages en tiges d’acier. S’y ajoutent de cliquetantes chaînettes, des tiges grattant le sol couvert de sable ou des pelles ramassant péniblement une minime quantité de ce sable pour l’emporter au sommet de la structure afin de compléter le cycle. Et pourtant, ces fragiles machines n’ont aucune finalité: elles répètent incessamment les mêmes mouvements au rythme d’un sempiternel tempo. Tout en étant pathétiquement inutiles, ces instruments incarnent de façon ludique la très humaine quête et poursuite du temps perdu.
En plus de l’exposition, vous pouvez également visiter l’atelier de l’artiste présentant des sculptures, des objets de décoration et des meubles en fer forgé. Sur rendez-vous en consultant le www.tendancemetal.com.

Line Dezainde

https://voir.ca/arts-visuels/2005/11/10/mustapha-chadid-quetes-temporelles/

 

 

Un «temps» soit peu

Par Yann Pocreau
« PRÉMICES » édition 2004-2005, publication du centre d’artistes AXENÉO7
 
   Alors que l’industrialisation battait son plein et que la machine ne donnait à voir que de plurielles possibilités de surpassement, elle se mit à effrayer.  Fritz Lang et sa Métropolis l’auront dépeinte comme une acerbe invention infectant la société, ses assises et modes de fonctionnement.  La superbe image d’un Chaplin aux prises avec un complexe système de roues dentelées, de leviers et d’engrenages dans Les Temps Modernes n’aura que souligné encore une fois le ridicule de l’homme face à l’hégémonie de sa propre création, du moins, face à ce qu’en aura fait une société du capital.  En constante évolution surtout depuis l’autonomie, bien que partielle, que lui a procuré l’informatique, la machine, croit-on toujours, aura vite fait de mutiner l’humanité.  À cette machine qui tue, qui révolutionne ou encore qui multiplie la production chaque jour qui passe, se comprend aussi son indubitable nécessité.  Défoncée par l’industrialisation, l’économie mondiale repose entre les mains des modes de production qu’elle permet.  La subsistance même se définit aujourd’hui à travers les moyens entrepris pour maximiser la moindre seconde, pour minimiser l’effort et n’a plus comme substrat que l’exigeante équation de la débrouillardise et du peu de ressources disponibles pour répondre à des besoins élémentaires. C’est en sens que les quatre sculptures cinétiques que nous propose Mustapha Chadid dans Un temps soit peu pourraient rappeler mécanismes et systèmes de dépannage, sortes de machines à survie, résolument défaillantes. Il y a donc dans ces œuvres, bien au-delà du ludisme qu’elles pourraient évoquer, une brillante réflexion habillement articulée sur les questions de fiabilité, de production et de temps notamment, donnant à voir de nombreuses possibilités de discours.
 
   Bien qu’à toute première vue, dans une première immersion au cœur de la cacophonie qui englobe l’espace d’exposition, le bric-à-brac mécanique des sculptures de Chadid semble évoquer les assemblages Tinguely, il est essentiel de porter une attention particulière à l’action qu’elles semblent vouloir répéter.  Les machines de Tinguely qu’il qualifiait lui-même de folle et d’idiote étaient vouées à une absurde fatalité, à un inévitable suicide mécanique.  Celles de Chadid sont, elles, d’une bouleversante détermination. Le va-et-vient aliéné de la machine ne sert plus à l’autodestruction ni même à l’autodérision comme auraient pu le faire les cinétiques de Tinguely;  Chez Chadid, il est plutôt question de machines épuisées, en perte d’autonomie, frôlant la panne à tout moment, tenant en haleine le regardeur qui s’interroge sur l’inefficacité évidente du bricolage.  En effet, les mécanismes élémentaires que met en scène Chadid rappellent puits et moulins de fortune, appareillages fébriles et maladroits que l’on pourrait retrouver dans les milieux ruraux d’Afrique du Nord par exemple, d’où origine l’artiste.  Ainsi, la machine s’efforce d’accomplir sa tâche, esclave de ses ressorts et poulies, elle semble s’être fatiguée mais empreinte d’un utopique et dérangeant optimisme pour une quelconque performance, vers un but ultime bien que tout à fait incertain.  Toutes quatre sous la forme d’un amalgame de retailles de métal pliées, coupées, collées, ficelées, ces stations de travail fonctionnent comme elles le peuvent, répétant d’un geste désarticulé un travail rudimentaire de déplacement de quelques poignées de sable. Qu’elles triturent, soulèvent ou déplacent, les sculptures de Chadid semblent aussi dysfonctionnelles qu’inefficaces.  Leur action précise, toute aussi ambiguë, semblerait toutefois évoquer un travail agricole, réservé à une machinerie plus lourde, pourrait-on croire.  Les composantes d’un «temps» soit peu relèvent plutôt de la délicatesse qui, à travers les retailles assemblées, se laissent découvrir un grandiose souci du détail. Les petites pièces soudées ou dessoudées, dessinant formes et ressemblances, laissent le poétique prendre indéniablement le dessus sur l’aspect pur et simple de la mécanique.  Seules dans la pièce ensoleillée, les constructions titubantes manoeuvrent toute d’une maladresse singulière ces petits amoncellements de sable foncé, laissant percevoir l’état de la perte d’efficacité du système.  À l’aide de pièces qui pourraient rappeler réceptacles et truelles, les machines faillent à la tâche laissant leurs scories dessiner au sol la trace de l’effort ou pire encore de la faillibilité de la machine. Il serait plausible de parler dans Un temps soit peu d’un aiguisé et pesant regard critique sur une société qui a placé tous ses espoirs dans le développement technologique, dans la performance et le progrès qu’il sous-entend. Les pièces dites essentielles sont percées, trouées ou simplement dessoudées par la récurrence du geste. Loin de la maximisation du temps et par surcroît, du travail dans un mode de survie pourtant primordial, les assemblages de Chadid interrogent avec grande intelligence, les questions de précision, de fiabilité mais aussi par leur nature, les questions d’espace et de temps.
 
   Ainsi, dans une chorégraphie de signes élémentaires rendus aléatoires par l’usure et la précarité, les constructions de Chadid s’exécutent et dessinent par leurs mouvements, l’espace-temps. Dans un large répertoire de situations de travail, le spectacle désorganisé semble tout à coup d’une incroyable cohérence.  L’espace semblerait alors sculpté dans toutes ses sphères, au sol par les monticules et tracés dans le sable, dans ses vides par les mouvements désarticulés des assemblages et par une cacophonie mécanique d’une certaine poésie.  À travers les grincements stridents et saccadés des frottements des pièces de métal, au-delà des cliquetis machinéens, apparaît étrangement un certain ordre rythmique; la répétition en elle-même brouillant toute qualification et quantification de la temporalité.  Lors qu’elle devient incessante, la répétition annihile tout autant les notions fondamentales intrinsèques de calcul fractionnaire d’avancement, de succession.  Alors détaché de la cosmogonie, le mouvement continu porte à croire à une impossible inertie, pourtant nécessaire à l’évaluation du travail, de ses étapes; le point de départ comme le résultat, confondus au sein d’un grand ballet mécanique où un métronome chaotique de bric et de broc bat la mesure. Une machine donc qui simule une vaine performance mécanique, foncièrement inutile, intrinsèquement déconstructive, qui redessine et débalance les étapes régulières du temps de production, ici pourtant primordiales si l’on considère la fonction presque vitale de ces mécanismes de dépannage. L’usure produite par la machine, elle-même trop rudimentaire pour supporter une telle tâche croirait-on, la voue à une inévitable et prévisible cassure; la fragilité et le déséquilibre semblant être la matière première de ces constructions.  Le principe de fonctionnement des machines suggérées par les sculptures de Chadid aurait comme unique fonction d’afficher les lacunes qui minent sa logique de fonctionnement au profit d’une possible incursion dans l’espace-temps, le travaillant, l’interrogeant de ses fragiles mouvements répétés, le perturbant par la saccade grinçante et stridente de son effort. Ainsi, le temps comme l’espace sont-ils repensés, modifiés pour être dotés d’une conscience sensible et d’une grande et abstraite émotionnalité. Ce sentimentalisme inhérent l’est d’autant plus que les automates rafistolés de Chadid dévoilent leur explication interne avec une assumée économie de moyens esthétiques et matériels.  Le système vétuste mis à nu, dénué de structure recouvrante se laisse comprendre à travers ses jeux de courroies effilées et d’engrenages superflus, dans une fragile mais extrêmement tendue relation entre poésie et efficacité, précision et irrégularité.
 
   L’échelle ambiguë des œuvres de Chadid brouille la nature même de ses énigmatiques appareillages.  Bien qu’ici il l’artiste ne cherche pas précisément à représenter, ni à simuler quoi que ce soit, le type de travail auquel s’acharnent en vain ces automates épuisés en est un habituellement réservé à une machinerie dite lourde, du moins l’évoque.  Cette tension d’échelle permettrait ainsi de spéculer sur le rôle de prototype que pourraient avoir les présentes cinétiques.  Par sa simple évocation, le prototype implique une potentielle production en série, une mise en marché de cette même machine, à une échelle toute autre peut-être.  Il reste toutefois contradictoire de proposer comme modèle, un appareillage défaillant en prévision de sa reproduction donc, de répéter le provisoire, l’inefficace, l’imparfait.  Il est aussi intéressant de noter que cette conjoncture radicalement antithétique alimente cette tension d’échelle et brouille d’autant plus les repères proposés.  Ainsi, Chadid joue-t-il sur deux échelles possibles : l’une liée à la machine agricole de grande taille, l’autre au modèle réduit.  Cette tension d’échelle et de nature se fait plus forte autour de l’une des machines, la réduction de l’échelle relevant presque de l’entomologie.  À même le sol, elle rappelle par sa forme et son action, la figure du scarabée si cher aux cultures maghrébines.  Dans un aller-retour incessant, la quincaillerie scarabéïde pousse et tire une boule retenue entre deux mandibules improvisées, labourant la surface sablonneuse sur laquelle repose son mécanisme, sillonnant de traits inégaux le dessin de la mémoire de sa trajectoire linéaire. Les questions d’échelle et de nature participent du rapport dichotomique entre fragilité et travail de taille, précision et maladresse et entre l’action mécanique de la nature et les maladresses atypiques de la construction humaine.  Différente des trois autres, elle ne va pas sans rappeler les sculptures surréalistes de Giacometti.  La main prise de 1932 par exemple, propose ce même genre d’hétérogénéité. La fonction comme l’efficacité de l’assemblage de poulies et de courroies de Giacometti restent complètement nébuleuses, la réelle porte d’entrée du discours résidant justement dans cette incongruité marginale, sans fonction précise.
 
   Ainsi, tant les œuvres de Giacometti que celles de Chadid appréhendent le mouvement.  Ce mouvement effectif et mécanique chez Mustapha Chadid, suggéré et rarement possible chez Giacometti, a toutefois le but commun de sculpter l’espace-temps à travers une dramaturgie symbolique et conceptuelle.  La finalité évoquée par les automates de Chadid en est une d’épuisement et de panne causée par la brisure continuelle sévissant sur l’assemblage qui reste malgré lui, loin du machinisme industriel.  Face à ce rapprochement surréaliste, force est d’aborder le symbolisme sexuel que ce type de machine peut évoquer.  Si, comme l’a dit Duchamp, « l’idée de répéter est -chez un artiste- une forme de masturbation », il est vrai que dans Un temps soit peu, dans les gestes et actions répétés de la ferraille, de ses grincements saccadés, dans ses tracés dans l’espace, la connotation sexuelle apparaît évidente.  La sculpture rappelant davantage un puits est elle particulièrement marquée d’un certain éros inhérent, dotée d’une charge érotique orchestrée par les pulsions arbitraires du mécanisme essoufflé.  Son fonctionnement fébrile mais assuré, qui plonge et reboucle sans cesse sa trajectoire verticale ne va pas sans rappeler les objets à fonctionnement symbolique de Dali, ou tout autre forme d’objectivation onirique du désir présente dans les sculptures surréalistes tant au plan conceptuel que plastique.  La machine que Carrouge avait jadis qualifiée de célibataire prend alors ici la forme de quatre mâles affaiblis, tentant, malgré l’usure de la tâche, de démontrer une certaine résistance, condamnés à travailler de façon résolument inefficace.
 
     Cette défection volontaire n‘évoquerait pas nécessairement un refus de la machine; bien qu’elle semble réticente, elle devient, au contraire, symptomatique de la situation sociale et économique actuelle où le déséquilibre économique planétaire intervient dans les notions élémentaires de temps et d’espace.  Ainsi la sensualité des mécaniques de Mustapha Chadid repose plutôt sur la réaction affective qu’elles provoquent, sur le désordre poétique dont elles font preuve en perturbant, un «temps» soit peu, l’espace-temps.
« PRÉMICES » édition 2004-2005, publication du centre d’artistes AXENÉO7

«Voyage sans retour»

Montage de l’exposition: 
Au Centre d’Exposition art-Image de la Maison de la Culture de Gatineau
855 Boulevard de la Gappe, Gatineau, QC
Lien Site Web: http://www.gatineau.ca/artimage/expo_chadid.html

Mustapha Chadid built an
‘ark’ for our times from scrap metal.
Par PETER SIMPSON
The Big Beat
Ottawacitizen.com/bigbeat
OTTAWA CITIZEN 2013