Comme un temps qui n’existe pas

Galerie Karsh-Masson
15 oct au 27 nov. 2005
110, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1P 1J1

Engrenage 01

Sculpture 42

Roulis

Engrenage 02

ÉCRITS

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Un catalogue accompagnait l’exposition. Octobre 2005
COMME UN TEMPS QUI N’EXISTE PAS
Un texte de José Claer
     Initialement, au tout début de ce monde rond, il y avait l’espace et le temps intrinsèquement mêlés, lieu et seconde ne faisant qu’un, monstre Ouroboros, avant que l’homme l’horizontalise, le fractionne ; le linéaire étant une notion plus confortable pour lui que le circulaire.  Image qui titille l’imaginaire de Mustapha Chadid, précepte qu’il ose bousculer avec des phrases comme « le temps est illusion », « rien n’est jamais parfaitement immobile » et qu’il illustre et prouve par ses sculptures en mouvement.  Emboîtements imparfaits de poulies, de courroies, de moteurs, de métal, matériaux de prédilection, qui sont autant d’automates dégingandés capables de chorégraphies amusantes, de parcours aléatoires.  Rythme boiteux mais ô combien fascinant, détourné de la précision et qui, à chaque répétition, bouge d’un iota, dessinant une nouvelle vérité face à l’infini, l’éphémère.
      Originaire du Maroc, Chadid y a complété des études en sciences physiques puis est devenu un artisan en ferronnerie d’art et en construction de métal avant d’immigrer au Canada en 2001 et de toucher au dessin animé et au cinéma lors de ses études à l’Université du Québec en Outaouais.  Une constance se détache de sa vie et de son art : le mouvement, les traces de passage du temps.  Normal alors que sa passion aujourd’hui prenne la forme de la sculpture cinétique, ramification qui explore l’esthétisme du mouvement répétitif et qui remonte au russe Naum Gabo et au dadaïste français Marcel Duchamp dans les années 20.  Ses oeuvres, géniaux bric-à-brac, possèdent des parties mobiles qui s’animent par des moteurs, composantes mécaniques fragiles, et qui les propulsent au ralenti sur un trajet de sable.  Du sable ? Relisez le début du second paragraphe, il y est fait mention d’un pays d’Afrique du nord, d’une culture maghrébine inhérente avec ses mythes et ses légendes venues du désert, les mots étant remplacés par un joyeux cliquetis métallique qui communique avec poésie et humour avec les visiteurs.  Regardeurs surpris par cette révolution du monde statique digne d’un Jean Tinguely, par cette évolution de la Reine scarabée, la bien nommée, un bric et de broc de fer, maquette du char de Ben Hur tirée en guise de cheval par les mandibules d’un insecte sacré poussant dans son double cercle de temps apprivoisé une boule de sable.  Mythe de Sisyphe réinventé.  Elle roule sur le sol granuleux de la galerie, y laissant les mille empreintes d’une trajectoire préétablie qui déraille perceptiblement à chaque circonvolution.  Tout aussi machine infernale mais plus ludique, plus proche de l’enfance et de ses jeux-rituels, il y a Fontaine, où un cône de fer, inlassablement, puise non de l’eau comme on s’attendrait à le voir faire, gestuelle salvatrice, mais du sable comme si on lui commandait d’échafauder des châteaux sur une plage, gestuelle maladroite qui égrène le temps ; un cône n’est-il pas une moitié de sablier ?
     Les sculptures aux roues dentelées, aux poulies sonores de facture cinétique de Chadid rassemblées pour cette exposition sont symboliques d’un temps de passage gravé dans le sable que le premier vent efface, ne laissant visible qu’un espace nu, un no man’s land.
José Claer
Journal VOIR du 10 novembre 2005
QUÊTES TEMPORELLE

Un texte de Line Dezainde 
Les sculptures de Mustapha Chadid nous enveloppent d’une poésie mécanique aux effluves d’Afrique du Nord et nous projettent dans un monde à la recherche du temps.
      Le titre Comme un temps qui n’existe pas donne le ton à l’approche philosophique et poétique entourant la création des œuvres composant l’exposition de l’artiste Mustapha Chadid à la Galerie Karsh-Masson. De nombreuses sculptures cinétiques nous transportent dans un monde fabuleux aux effluves d’Afrique du Nord, à la poursuite du temps qui fuit, du temps perdu ou de sa futilité.
Né au Maroc d’un père forgeron et d’une mère couturière, Chadid a baigné dans un environnement où régnaient la créativité et la manipulation des matériaux. Jeune, il adorait se balader dans les quartiers de Casablanca, fasciné par le génie créatif des habitants recyclant les matériaux disponibles afin de créer des objets utilitaires ou des jouets. « Mon père était forgeron et il réparait les grandes roues métalliques auxquelles étaient attelés des chevaux qui les faisaient tourner. » Ces roues se raccordaient à un ingénieux système d’engrenages permettant l’ascension de l’eau d’un puits. Le métal se faisant rare, « c’était le système D » et le recyclage de morceaux trouvés de-ci de-là.
      Un enseignant de la 12e année a assurément influencé la pensée de Chadid quant au concept de la relativité du temps. « Le temps peut être mesuré avec des instruments sophistiqués, mais on ne peut pas expliquer l’effet du temps. Mon professeur nous expliquait qu’une heure, ce n’est pas toujours la même chose. Une heure à avoir du plaisir entre amis, ce n’est pas aussi long qu’une heure à accomplir un travail pénible. » Les œuvres tirent ainsi leur origine de cette fascination de l’artiste pour l’incommensurabilité du temps, d’études dans le domaine de la physique, des histoires de Jules Verne, des machines à remonter le temps et même des films de Star Wars! Depuis son immigration au pays, Chadid est à même de comparer la conception des Nord-Américains à celle des habitants de son Maroc natal: « Le temps prend une autre dimension lorsqu’on dispose de temps libre, de ressources et de la liberté de s’exprimer. » Il renvoie également aux cultures qui ne définissent pas le temps de façons semblables: « La course effrénée pour gagner du temps n’a aucune résonance pour le montagnard de l’Afrique. C’est une notion qui lui est totalement étrangère. »
       Fusionnant art et sciences, les sculptures, que l’artiste nomme aussi « instruments », investiguent chacune à leur manière une portion du temps. Les structures métalliques sont composées de feuilles d’acier découpées à la torche, de moteurs et de délicats engrenages en tiges d’acier. S’y ajoutent de cliquetantes chaînettes, des tiges grattant le sol couvert de sable ou des pelles ramassant péniblement une minime quantité de ce sable pour l’emporter au sommet de la structure afin de compléter le cycle. Et pourtant, ces fragiles machines n’ont aucune finalité: elles répètent incessamment les mêmes mouvements au rythme d’un sempiternel tempo. Tout en étant pathétiquement inutiles, ces instruments incarnent de façon ludique la très humaine quête et poursuite du temps perdu.
En plus de l’exposition, vous pouvez également visiter l’atelier de l’artiste présentant des sculptures, des objets de décoration et des meubles en fer forgé. Sur rendez-vous en consultant le www.tendancemetal.com.

Line Dezainde

https://voir.ca/arts-visuels/2005/11/10/mustapha-chadid-quetes-temporelles/